Centenaire du Tour de France 1924
Cet été, c’est le centenaire du Tour de France 1924. La fameuse épopée des forçats de la route que le journaliste Albert Londres a raconté dans son reportage. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de partager les illustrations du récit Les forçats de la route que j’ai réalisées à l’occasion de cet anniversaire des 100 ans. (Je remercie Catherine Feunten pour la direction artistique qu’elle m’a apportée en me dirigeant sur ce projet ambitieux).
Les 25 illustrations digitales correspondent à des passages du texte sélectionnés dans le récit d’Albert Londres.
Le parcours du tour de France 1924
Le 18e Tour de France s’est déroulé du 22 juin au 20 juillet 1924 sur 15 étapes pour 5 425 km. Les étapes sont très longues si bien qu’elles se poursuivent la nuit. Avec une carte du parcours on comprend mieux pourquoi les 2 tiers du peloton vont abandonner la course.
De Paris (Luna Park) au Havre
1re étape le 22 juin 1924
Hier, ils dînaient encore à onze heures et demie du soir dans un restaurant de la Porte Maillot ; on aurait juré une fête vénitienne car ces hommes, avec leurs maillots bariolés, ressemblaient de loin à des lampions.
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Et cent cinquante-sept hommes prirent la route
Un quart d’heure plus tard, j’aperçus le numéro 223 qui changeait un pneu sur un trottoir. C’était le premier guignard. J’arrêtai ma Renault.
– Eh bien ! lui dis-je, vous n’êtes pas verni.
Il me répondit :
– Il faut bien qu’il y en ait un qui commence.
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Dans le peloton des meilleurs, c’est la poursuite ; de grosses voitures peinent à les suivre. Tout le Havre est sur cinq kilomètres de route. On entend crier par mille voix :
– Bottecchia ! Henri ! Francis !
C’est Bottecchia qui, en pleine ville, donne le dernier coup de jarret vainqueur, et le second est Ville, dit Jésus, dit Pactole.
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De Cherbourg à Brest
3e étape le 26 juin 1924
Les frères Pélissier et Ville abandonnent
Nous étions à Granville et six heures sonnaient. Des coureurs, soudain, défilèrent. Aussitôt la foule, sûre de son affaire cria :
– Henri ! Francis !
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Coutances. Une compagnie de gosses discute le coup.
– Avez-vous vu les Pélissier ?
– Même que je les ai touchés, répond un morveux.
– Tu sais où ils sont ? …
– Au café de la gare. Tout le monde y est.
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Les Pélissier n’ont pas que des jambes ils ont une tête et, dans cette tête, des jugements.
– Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France, dit Henri, c’est un calvaire. Et encore, le chemin de Croix n’avait que quatorze stations, tandis que le nôtre en compte quinze. Nous souffrons du départ à l’arrivée. Voulez-vous voir comment nous marchons ? tenez…
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De Brest aux Sables d’Olonne
4e étape – le 28 juin 1924
4e étape – le 28 juin 1924
Voilà un fauve qui sur le bord de la route dévore du caoutchouc avec férocité. C’est le maillot jaune Bottecchia. Il a crevé. Bottecchia, pour aller plus vite, arrache son pneu à pleines dents.
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Nantes. Foule. Pont écroulé. Alors ils passent la Loire sur un pont de bateaux qui se soulève et s’affaisse comme une poitrine qui soupire. Alavoine est en tête de cette course à pied, il boit un coup, bouteille à la bouche, et on le dirait sonnant du clairon pour entraîner le régiment.
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Des Sables d’Olonne à Bayonne
5e étape – le 30 juin 1924
482 kilomètres
– Avez-vous mangé ?
– J’ai mangé quelques colifichets dérisoires, dit-il aussi j’ai faim.
Les ténébreux qui tiennent bon sont désormais des ténébreux lumineux, et cela sans plaisanterie. Car pour suivre le peloton, il faut qu’ils fassent ce qu’en langage sportif on appelle des étincelles ! Mais la course continue c’est la cinquième étape.
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Le maréchal des logis de gendarmerie crie à ses concitoyens enthousiastes : Faites place pour laisser passer ces messieurs les bicyclistes !
Ils sont partis à dix heures du soir des Sables ; ils arriveront à dix-huit heures trente. Cela fera vingt heures et demie de selle pour cette étape.
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La fête commencera jeudi, ainsi le veut la chanson de la route : Fini de se promener c’est demain les Pyrénées.
De Bayonne à Luchon
6e étape le 2 juillet 1924
Une homme, les cuisses épuisées, s’est couché sur le talus. Passe le 207, le Nivernais. Alors, l’homme couché lui dit :
– Tu es plus fort que moi, Garby ! je te salue !
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Le Tourmalet est un méchant col ; le long de son chemin, il aligne les vaincus. Un routier pleure, les deux pieds dans un petit torrent ;
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Il tient un médaillon à la main :
Ah ! si c’était pas pour toi ! dit-il.
C’est la photographie de son gosse.
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De Luchon à Perpignan
7e étape le 4 juillet 1924
Mais ils doivent monter à mille neuf cent vingt-cinq mètres, au Puymorens. Le vent souffle, comme en mer, avec son bruit de soie, ainsi qu’il fait dans un voile d’un trois-mâts. L’orage recouvre les montagnes comme une bâche. A grands pas la poussière marche en paquets, furieuse, et aveugle tout. C’est là-dedans que, en tête, luttent Bottecchia et Alancourt.
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De Perpignan à Toulon
8e étape – le 6 juillet 1924
Les courses sont l’amusement du public. Il ne faut cependant pas les confondre avec une corrida. Les coureurs ne sont pas des taureaux, il ne doit pas y avoir tentative de mise à mort à la fin du spectacle.
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Il reste encore sept étapes, des mesures de précaution s’imposent.
Ce sont des prix que l’on a promis à ces garçons, et non des civières.
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De Toulon à Nice
9e étape le 8 juillet 1924
Le maréchal est Alphonse Baugé. Il est commandant en chef des coureurs cyclistes… de ceux du Tour de France, de ceux des Six Jours, de ceux des courses classiques, des routiers et des pistards : Alfonse Baugé est l’animateur de la pédale française. C’est le seul homme que, de nos jours, je crois capable d’accomplir un miracle. Il ferait monter un garçon sur une bicyclette qui n’aurait ni selle, ni guidon ! Alphonse Baugé finira canonisé.
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– Vous pouvez télégraphier que le nombre des bactéries du Tour de France est de seize à dix-neuf millions par mètre cube d’air ! …
Ce n’est pas sans motif que je vous livre ces calculs, c’est pour vous faire comprendre l’événement de cette étape. Dix-neuf millions de bactéries arrivent à faire substance si épaisse, qu’aujourd’hui Bottecchia a disparu dans cette poussière.
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L’arrivée d’Alavoine ne fut pas mal non plus. La poisse l’avait quittée. Il parut le troisième. Il était au milieu de la rue, épuisé. Mais il gênait la circulation. Un sergent de ville s’approcha :
– Allons, plus vite ! plus vite ! circulez ! Alavoine sortit un couteau de sa besace, le tendit au représentant de l’autorité et, d’une voix sans souffle :
– Bien, mon vieux tue-moi tout de suite !…
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De Briançon à Gex
11e étape le 12 juillet 1924
Voici, toutefois, ce que j’ai vu dans la montée et la descente de l’Izoard et du Galibier.
Quand ils les gravissaient, ils ne semblaient plus appuyer sur les pédales, mais déraciner de gros arbres. Ils tiraient de toute leur force quelque chose d’invisible, caché au fond du sol, mais la chose ne venait jamais. Ils faisaient : » Hein ! Hein ! » comme les boulangers la nuit devant leur pétrin.
[…]
Et, en roue libre, coupant le vent, il dévale, l’oeil anxieux.
Je me suis arrêté au bas d’une grande côte.
En trombe, un par un, je les vois descendre.
J’ai peur ! me crie un routier d’une voix grelottante.
[…]
De Metz à Dunkerque
14e étape le 18 juillet 1924
Cette autre chanson commença exactement à minuit juste, à Metz, et se termina à neuf heures moins le quart, ce soir à Dunkerque. Prenons-la par le début.
Il pleuvait et le vent soufflait ; il faisait un temps à ne pas mettre un cochon d’Inde sur le balcon.
Traînant leur vélocipède, les coureurs, d’un pas mou, apparurent un à un et, sous un vent debout, le départ dut donné.
[…]
Partis plus de cent cinquante, ils reviennent soixante !…
De Dunkerque à Paris (Parc des Princes)
15e étape le 20 juillet 1924
Ils allaient sur la route qui n' »tait pas à eux. On leur barrait le chemin. A leur nez, on fermait les passages à niveau.
Les vaches, les oies, les chiens, les hommes se jetaient dans leurs jambes. Ce n’était pas le grand supplice. Le grand supplice les a pris au départ et les mènera jusqu’à Paris. Il s’agit des autos. Trente jours durant, ces voitures ont raboté la route sur le flanc des coureurs. Elles l’ont rabotée en montant, elles l’ont rabotée en descendant. Cela faisait d’immense copeaux de poussière. Les yeux brûlés, la bouche desséchée ils ont supporté la poussière sans rien dire.
[…]
C’était leur dernier « Tour ». Ils s’étaient préparés pour le gagner. Ils voulaient finir en beauté. La chance et Bottecchia ne l’ont pas voulu.
– Oh c’est triste ! me disait Thys, roulant hier à côté de moi.
Alors Alavoine, qui suivait, laissa tomber, sans relever la tête :
– Oui, c’est bien triste, après quinze ans de « rame » consciencieuse, de dételer comme une vieille bique dans la poussière du vainqueur.
[…]
Les forçats de la route – Albert Londres
Le Petit Parisien, 20 juillet 1924
bravo ! beau travail
Catherine Feunteun